mercredi 28 avril 2021

RODE (Pierre)

( le 26 février 1774 - le 26 novembre 1830)


RODE (PIERRE) (1), violoniste célèbre, naquit à Bordeaux, le 26 février 1774. Fauvel aîné fut son premier maître de violon en 1787, et lui donna des leçons pendant six ans. Arrivé à Paris en 1788, et alors âgé de quatorze ans, Rode joua un concerto de violon devant le célèbre corniste Punto qui, charmé de ses heureuses dispositions, le présenta à son ami Viotti. Ce maître l'accueillit avec le plus grand intérêt, et entreprit de perfectionner son talent par ses leçons. En 1790, ce grand artiste le fit débuter au théâtre de Monsieur, dans l'entr'acte d'un opéra italien : Rode y joua le treizième concerto de son maître. Dans la même année, il fut attaché à l'excellent orchestre du théâtre Feydeau, en qualité de chef des seconds violons, quoiqu'il ne fût âgé que de seize ans. Ce fut à cette époque qu'il exécuta à ce théâtre pendant les concerts de la semaine sainte, les 3ème, 13ème, 14ème, 17ème et 18ème concertos de Viotti. La beauté de cette dernière composition fut vivement sentie; l'exécutant et l'auteur eurent une part égale au triomphe que le public décerna, en manifestant le désir de l'entendre dans trois concerts consécutifs. 


(1) Cette notice, publiée dans la Revue musicale (t. X, D. 173-178) en 1830, a été traduite et reproduite depuis lors dans plusieurs ouvrages allemands et anglais. Je crois devoir faire cette déclaration, afin qu'on ne m'accuse pas d'avoir emprunté à ces livres la forme de ce morceau ainsi que les faits.


  Rode conserva sa place au théâtre Feydeau jusqu'en 1794, et ne la quitta que pour entreprendre un voyage en Hollande et à Hambourg, avec le célèbre chanteur Garat. De Hambourg il se rendit à Berlin, où il joua devant le roi Frédéric-Guillaume II. De retour à Hambourg, il s'y embarqua pour aller à Bordeaux; mais une tempête le jeta sur les côtes d'Angleterre. Si près de Viotti, il voulut le revoir et se mit en route pour Londres. Le désir de s'y faire entendre en public l'occupait beaucoup; mais sa qualité de Français était un obstacle au succès qu'il voulait obtenir. Il crut l'écarter en donnant un concert au bénéfice des veuves et des orphelins, mais il ne put y réunir qu'un auditoire peu nombreux. Bientôt, dégouté d'un peuple qui n'avait pas su mieux apprécier son talent que celui de son illustre maître, il retourna de nouveau à Hambourg, d'où il revint en France par la Hollande et les Pays-Bas, donnant partout des concerts qui augmentaient sa renommée. Lorsqu'il arriva à Paris, le Conservatoire venait d'être institué par un décret de la Convention; il y fut attaché en qualité de professeur de violon, mais il ne s'arrêta pas longtemps en cette ville, car bientôt il partit pour l'Espagne, après s'être fait entendre avec un succès éclatant aux fameux concerts de Feydeau. Arrivé à Madrid, Rode s'y lia d'amitié avec Boccherini, qui écrivit pour lui l'instrumentation de plusieurs concertos, particulièrement du sixième, en si bémol. 

  De retour à Paris en 1800, il fut attaché à la musique particulière du premier consul, en qualité de violon solo. Cette époque fut la plus brillante de son talent et de ses succès. Parmi les artistes et les amateurs qui assistèrent alors aux concerts donnés à l'Opéra par la célèbre cantatrice Grassini, il n'en est point qui ne se rappelle l'effet prodigieux qu'il produisit dans son septième concerto, alors dans sa nouveauté.

  Cédant à des propositions avantageuses qui lui étaient faites par la cour de Russie, Rode partit en 1803 pour Saint-Pétersbourg avec son ami Boieldieu. Arrivé dans cette capitale, il fut présenté à l'empereur Alexandre, qui le nomma premier violon de sa musique, sans lui imposer d'autre obligation que celle de se faire entendre dans les concerts de la cour et à ceux du théâtre impérial. Son début dans cette cour produisit une sensation difficile à décrire. Ses succès s'accrurent de jour en jour pendant les cinq années de son séjour en Russie. Il reparut à Paris, vers la fin de 1808, dans un concert qu'il donna à l'Odéon. Malgré ses longs voyages, le souvenir de son beau talent était encore trop récent pour qu'on laissât échapper l'occasion de l'entendre : il y eut à ce concert une affluence extraordinaire de curieux et d'amateurs véritables. Il faut le dire, l'attente de cet auditoire ne se trouva pas complètement réalisée. C'était toujours la même pureté de son, la même élégance d'archet, le même goût; mais l'éclat et la verve du style avaient diminué depuis les concerts de Mme Grassini. Rode, sans doute, fut blessé de n'être plus applaudi avec le même enthousiasme qu'autrefois, car ce fut la dernière fois qu'il joua dans un concert public à Paris. Ses amis seuls eurent encore le plaisir de l'entendre, et ce plaisir était bien vif, car rien n'était plus séduisant que ses quatuors exécutés par lui, et accompagnés par Baillot et de Lamarre.

  Fatigué du silence auquel il s'était condamné, et avide de succès, il partit de nouveau pour l'allemagne en 1811, et parcourut l'Autriche, la Hongrie, la Styrie, la Bohème, la Bavière et la Suisse. Ce fut pendant ce voyage et lorsque Rode était à Vienne, que Beethoven écrivit pour lui la délicieuse romance de violon et orchestre que Baillot a fait entendre longtemps après avec tant de succès dans les concerts du Conservatoire. En 1814, Rode se fixa à Berlin et s'y maria. A son arrivée dans cette ville, il donna un concert au bénéfice des indigents : depuis lors il vécut dans la retraite, au sein de sa famille.

  Quelques affaires, des arrangements de fortune le retenaient loin de sa patrie; dès qu'il les eut terminées, il alla s'établir à Bordeaux, qu'il ne quitta plus, si ce n'est pour un voyage à Paris, en 1828. Fatal voyage, qui hâta la mort d'un artiste si justement célèbre !   Depuis plus de douze ans, la publication de quelques ouvrages était le seul point de contact qui fût resté entre lui et le public : ses amis seuls avaient le privilège de l'entendre, et par une illusion de l'amitié, se persuadaient qu'il n'avait rien perdu de son talent : lui-même le croyait. L'habitude de n'entendre que lui, et conséquemment l'absence de moyens de comparaison, avaient fini par éteindre cette vive émulation qui conserve et grandit le talent. 

  Rode avait conçu tout à coup le projet de reparaître sur la scène du monde musical : il alla chercher avidement à Paris les occasions de se faire entendre, comme aurait pu le faire un jeune homme de réputation naissante. Ce fut d'abord une fête pour ses anciens admirateurs; mais bientôt ce fut avec effroi qu'ils virent compromettre un si beau nom, un talent si réel. L'intonation, jadis si pure et si belle, était devenue douteuse : l'archet était timide comme les doigts; l'élan, la fougue, la sûreté même de l'expérience, qui remplace l'audace de la jeunesse, tout avait disparu. Il était évident que, malgré ses illusions, Rode n'avait plus en lui-même la confiance d'autrefois; et l'on sait ce que vaut cette confiance que les hommes de talent tirent du sentiment de leur valeur ; lorsqu'elle est ébranlée, tout disparaît avec elle. Pleins de respect pour une grande renommée, les artistes applaudirent encore aux derniers efforts d'un beau talent, mais par devoir seulement, et sans conviction comme sans entraînement. Rode aperçut la différence de ces applaudissements et de ceux qu'il recevait autrefois : alors une affreuse lumière vint éclairer son esprit, et pour la première fois il comprit qu'il n'était plus lui-même. 

  Le coup fut d'autant plus sensible qu'il était inattendu. L'artiste s'éloigna de Paris le cœur navré de douleur. L'échec que son nom venait de recevoir devint la pensée de tous ses jours, le songe de toutes ses nuits. Bientôt sa santé s'altéra. Une révolution subite s'opéra dans sa constitution vers la fin de 1829; frappé d'une atteinte de paralysie qui mit dans l'inertie une partie de son corps, et même attaqua le cerveau, il ne sortit plus de l'état de langueur qui consumait sa vie, et le 26 novembre 1830, il cessa d'exister.

  Malgré la susceptibilité d'artiste dont il a donné de si tristes preuves vers la fin de sa vie, Rode n'avait pas d'orgueil au lemps de ses succès, au temps où son talent était le modèle du fini plus précieux uni à la chaleur la plus entrainante. Ne parlant jamais de lui; admirant sincèrement tous les artistes de mérite; aimant passionnément le beau, de quelque genre qu'il fût, jamais il ne connut l'esprit d'intrigue ni la jalousie, malheureusement trop ordinaires dans la carrière des arts. Une vive amitié l'unissait à Baillot, son rival en talent : l'attachement que ces deux grands artistes s'étaient voué ne se démentit jamais. C'était vraiment un spectacle touchant que celui de leur empressement à augmenter les succès de l'un par l'autre. Rode devait-il se faire entendre quelque part, Baillot sa réduisait au rôle de simple accompagnateur; et quand venait le tour de Baillot, Rode lui rendait le même service. Je me rappelle encore une cérémonie du Conservatoire où Baillot fit entendre un de ses trios, accompagné par Rode et Lamarre; la perfection ne fut jamais poussée plus loin; mais le dévouement que ces grands artistes témoignaient l'un pour l'autre était peut-être plus admirable encore.

  Comme compositeur pour son instrument. Rode mérite d'occuper une place parmi les plus distingués. Son instruction dans l'art d'écrire avait été négligée, et d'abord il dut avoir recours à ses amis pour instrumenter ses concertos: mais des mélodies ont une suavité remarquable, le plan de ses compositions est bien conçu, et ses traits ont du brillant et de l'originalité. Ses quatuors, qui se composent d'une partie brillante de premier violon, accompagnée d'un second violon, d'un alto et d'une basse, n'ont pas eu moins de succès que ses concertos, lorsqu'ils étaient joués par lui. 


  Voici la liste de ses ouvrages : 

1° Concertos: 

1er (en ré mineur), Paris, Janet et Cotelle. 

2me (en mi), ibid. 

3me (en sol mineur), Paris, Leduc. 

4me (en la), Paris, Janet et Cotelle. 

5me (en ré), ibid. 

6me (en si bémol), ibid. 

7me (en la mineur), Paris, Frey (Richault), 

8me (en mi mineur), ibid. 

9me (en ut), ibid. 

10me (Souvenir aux amis de Stalgen, en si mineur), ibid. - 

2° Quatuors pour deux violons, alto et basse, op.14, 15, 16, Paris, Richault. 

3° Quatuors brillants idem, Nos.1, 2, 3, 4, op.24 et 25, ibid.

4° Thèmes variés avec orchestre : 

no.1 (en mi majeur), op.10, ibid. 

no 2 (en la majeur), op.21, ibid. 

no.3 (air allemand), op.25, ibid. 

no.4, op.20, ibid. 

5° Thèmes variés avec quatuor : 

no.1, op.9, ibid. 

no.2, op.12, ibid. 

no 3, ibid. 

no 4, op.28, ib. 

6° Fantaisie, pour violon et orchestre, op.24, ibid. -- 

7° Cavatine et rondeau, avec quatuor, op.28, ibid.

8° Duos pour deux violons : 1er livre, Paris, Leduc, 2me livre, op.18, Paris, Richault. 3me livre, Berlin, Lischke. 

On a aussi du même artiste quelques morceaux détachés, tels qu'andante rondeaux, etc.



Extrait de Tome V; P.283-286 de la « Biographie Universelle des Musiciens »  par François-Joseph Fétis, 1860-1866 @BnF Gallica.


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