mercredi 19 mai 2021

BOCCHERINI (Luigi)

(le 19 février 1743 - le 28 mai 1805) selon Wikipédia


BOCCHERINI (Louis), compositeur d’un génie fécond et original, naquit à Lucques,
le 14 janvier 1740(sic).  Admis au nombre des élèves du séminaire de sa ville natale, it reçut les premières leçons de musique de l'abbé Vannucci, maître de chapelle de l'archevêché. Un goût invincible le poussait à l'étude du violoncelle, il s'y livra sans réserve, et ses progrès sur cet instrument furent rapides. C'est au penchant que Boccherini avait pour ce même instrument, et à l'habileté qu'il y avait acquise, qu'il faut attribuer le choix qu'il en a fait pour ses quintetti, et les difficultés qu'il a mises dans sa partie, nonobstant le désavantage qui devait en résulter pour la popularité de sa musique. 

  Assez instruit dans l'art pour apprécier les heureuses dispositions du jeune musicien, le père de Boccherini, contrebassiste à la métropole de Lucques, ne voulant pas que des qualités si précieuses ne portassent point leurs fruits, envoya son fils à Rome pour y apprendre l'art d'écrire, et pour perfectionner son talent sur l'instrument qu'il avait choisi. La nature avait été si libérale envers lui, qu'elle avait laissé peu de chose à faire à ses maîtres. Toutefois, c'est peut-être à son séjour à Rome qu'il fut redevable de la délicieuse naïveté qui se fait remarquer dans toutes ses compositions. De son temps on faisait de la musique dans toutes les églises de Rome, dans quelques-unes, il y avait des instruments mêlés aux voix, et les œuvres qu'on exécutait étaient dans le style concerté; mais dans plusieurs autres, et particulièrement à la chapelle Sixtine, on entendait habituellement la musique de l'ancien style, appelé osservato, ou Palestrina a mis un charme, une douceur, dont l'effet était encore augmenté à cette époque par la réunion des plus belles voix, et par une exécution parfaite. Boccherini a souvent exprimé en termes pleins d'enthousiasme le plaisir qu'il avait éprouvé à l'audition de cette musique; vers la fin de sa vie, l'impression qu'il en avait reçue ne s'était point encore affaiblie. Il est remarquable que le certain vague qui plaît tant dans la musique de Palestrina n'est pas sans analogie avec celui qui caractérise les compositions de Boccherini.

  De retour à Lucques, après quelques années d'absence, le jeune artiste y trouva Manfredi, élève de Nardini pour le violon, et son compatriote. Il se lièrent de l'amitié le plus étroite, et partirent ensemble pour l'Espagne, alors le pays de l'Europe où l'on trouvait les plus grands artistes réunis. D'abord ils se rendirent à Turin, où leur talent comme compositeurs et leur habileté comme instrumentistes excitèrent la plus vive admiration.

  Boccherini venait de produire ses premiers trios pour deux violons et basse : ils étaient encore en manuscrit, et les amateurs considéraient comme une faveur précieuse la permission d'en obtenir des copies. Dans une notice très-bien faite par Boccherini, M. L. Picquot remarque que ces trios sont le seul œuvre produit par cet artiste dans l'intervalle de 1762 à 1767; ce qui indique que l'excursion de Boccherini et de Manfredi se prolongea pendant plusieurs années. 

  Après avoir visité quelques villes de la Lombardie, du Piémont et du midi de la France, les jeunes artistes arrivèrent à Paris vers 1768 (1). L'éditeur La Chevardière, qu'ils eurent occasion de connaître dès leur arrivée, les présenta au baron de Bagge, chez qui ils trouvèrent l'élite des artistes français de cette époque. Le charme des compositions de Boccherini, qu'ils y firent entendre, leur procura un succès qu'ils n'auraient pas obtenu par le seul mérite de leur exécution. Il en fit de même au Concert spirituel, où ils jouèrent les mêmes compositions, aux grands applaudissements de l'assemblée, Le lendemain, l'éditeur Venier vint trouver Boccherini, lui fit beaucoup d'offres de services, et demanda la faveur de graver ses ouvrages. Les éditeurs sont les mêmes dans tous les temps : le succès de l'œuvre décide de leur intérêt pour l'auteur. Quoi qu'il en soit, Boccherini saisit avec empressement l'occasion qui se présentait de révéler au monde musical les trésors de son génie : il dédia son premier œuvre de quatuors à Venier, qui le publia, et acquitta la dette de sa reconnaissance envers La Chevardière, en lui dédiant aussi ses premiers trios, qui parurent, chez cet auteur (2). 


(1) J'ai dit dans la première édition de cette Biographie que ce fût en 1771; mais H. Picquot a démontré par l’œuvre cinquième de Boccherini, qu'il était à Paris en 1768, car il porte précisément cette date.

(2) Pour n'avoir pas me répéter, je déclare ici que je suis redevable des rectifications de la Biographie de Boccherini à l'excellente notice de M. Picquot. Cet amateur distingué a eu à sa disposition pour la faire les éditions originales des autres de ce grand artiste, et, ce qui est plus précieux encore, le manuscrit autographe du catalogue chronologique fait par Boccherini lui-même avec un soin minutieux. M. Picquot a fait usage de ces documents avec beaucoup d'intelligence et de discernement.



  Bientôt recherché avec empressement par les amateurs d'élite, que charmaient ses inspirations originales, Boccherini satisfit à leur empressement par l'abondance de sa verve. Au nombre de ses productions qui appartiennent à la même époque, il faut signaler les six sonates pour clavecin et violon dédiées à Mme Brillon de Jouy, claveciniste distinguée, qui était alors au premier rang des amateurs français.

  Séduit par les espérances de faveur et de fortune que leur donnait l'ambassadeur d'Espagne à Paris, Boccherini et Manfredi se dirigèrent vers Madrid à la fin de l'année 1768 ou au commencement de 1769. Ce qui est certain, c'est que Boccherini y était dans cette même année, car un concerto a più stromenti etc. composto per la corte di Madrid, gravé à Paris chez Venier, porte au frontispice : composé en 1769, œuvte 8 de l'auteur. Manfredi n'était allé à Madrid que dans la dessein d'y amasser des richesses; il ne négligea rien de ce qui pouvait lui en faire acquérir; mais Boccherini, préoccupé de l'amour de son art, et doué d'ailleurs de cette insouciance qui était autrefois un des traits caractéristiques des hommes de génie; Boccherini, dis-je, plus ému à la pensée de sa gloire qu'à celle de sa fortune, ne songea guère à ce qui pouvait assurer celle-ci. Conformément à la tradition, j'ai dit, dans la première édition, que Boccherini fut attaché au service du roi et à celui du prince des Asturies; mais, comme tous les biographes, j'ai été induit en erreur. 

« Boccherini (dit M. Picquot) apporta avec lui en Espagne son troisième livre de trios (gravé op.9), qu'il s'empressa de dédier au prince des Asturies (plus tard Charles IV).

« Immédiatement après il composa, per la corte di Madrid, un concerto a più stromenti obligati (gravé, op.8). Quel effet produisirent ces deux ouvrages sur l'esprit du roi et de son fils aîné en faveur de Boccherini ?  

« On ne saurait le dire exactement; mais il est hors de doute que le grand compositeur n'obtint pas la distinction due à son mérite, puisque ni le roi, ni l'héritier présomptif ne songèrent à se l'attacher. 

« Ce fut l'infant Don Louis, frère de Charles III, qui répara cette injustice. En effet, on remarque que, dès cette même année 1769, Boccherini écrivit pour son protecteur six quartetti (gravés, op.6) qu'il lui dédia en prenant le titre de  compositore e virtuoso di camera di S.A.R. Don Luigi infante d'Ispagnia. 

« Tous les manuscrits de l'auteur reproduisent invariablement, sur leur feuille de tête, cette qualification unique, sans qu'il y soit fait jamais mention d'autres titres jusqu'à la mort de l'infant, arrivée le 7 août 1785. 

« A partir de cette époque, au contraire, on voit Boccherini étaler avec une sorte de complaisance les différents titres dont il était revêtu. Ainsi, par exemple, on lit assez fréquemment : composti da Luigi Boccherini, professore di musica all' allual servizio di S.M.C.; Compositore di camera di S.M. Prussiana; Direttore del concerto dell' eccellentissima señora, contessa di Benevente, duchessa di Ossuna, Grandia, etc., etc. 

« Mais souvent aussi il néglige la plupart de ces titres pour ne conserver que celui de compositeur de la chambre du roi Frédéric-Guillaume II, dont il était pensionné, et pour lequel il écrivit, de 1787 à 1797, tous les ouvrages que son génie fit éclore pendant cette période. »


  Les faits exposés dans ce paragraphe par M. Picquot prouvent bien que le roi l'Espagne n'employa pas Boccherini comme compositeur, mais non qu'il ne l'attacha pas à sa maison : car la qualité que l'artiste prenait sur ses ouvrages après la mort de Don Louis démontre précisément le contraire, All’allual servizio ne peut signifier pensionné; car ces mots indiquent précisément un service actif. Ce service, dit M. Picquot, n'était qu'un vain titre d'organiste in partibus ; mais il ne rapporte aucune preuve de ce fait et ne l'appuie par aucun document. Ce qui ressort de tout cela, c'est que Boccherini fut attaché à la cour du roi d'Espagne dès 1785, et qu'il resta dans la même position après que Charles IV eut succédé à son père, le 14 décembre 1788. Ce n'était donc point une pension qu'il recevait : c'était un traitement. Plus tard, vraisemblablement, le traitement fut converti en pension.


  Lorsqu'il arriva en Espagne, le prince héréditaire avait à son service Gaetano Brunetti, violoniste habile et compositeur agréable. Cet artiste n'avait publié que des ouvrages médiocres jusqu'à l'époque où il arriva à Madrid : plus tard son style se transforma, et tout porte à croire que l'effet produit sur lui par les compositions de Boccherini et les conseils de ce grand musicien exercèrent la plus heureuse influence sur ses inspirations. Cependant la jalousie et la crainte 

de se voir supplanter dans sa position par un homme dont la supériorité n'était pas contestable, lui firent payer de la plus noire ingratitude les services qu'il en avait reçus. Boccherini avait sur Brunetti l'avantage du génie ; mais celui-ci, doué de l'esprit le plus fin et le plus adroit, prenait sa revanche dans l'intrigue. Le digne artiste voyait bien que son élève employait toute son adresse à lui nuire dans l'esprit de prince des Asturies; mais il n'avait pas l'habileté nécessaire pour déjouer ses manœuvres.

  Une anecdote rapportée par le violoniste Alexandre Boucher, qui fut longtemps au service de la cour d'Espagne, prouve jusqu'où allaient les préventions qu'avait fait naître Brunetti dans l'esprit du prince contre Boccherini et contre sa musique. Suivant cette anecdote, reproduite par Castil-Blaze à sa manière dans la biographie de Boucher (Revue de Paris, mai 1845, page 10), don Louis, oncle de Charles IV, alors prince des Asturies, conduisit un jour Boccherini chez son neveu pour lui faire entendre de nouveaux quintettes de son maître favori. Dans l'exécution d'un de ces morceaux, la prince jouait le premier violon; un passage de sa partie, où la même forme se répétait longtemps avec monotonie, lui déplut; il le joua en ricanant, et finit par se lever, en déclarant la musique détestable. Boccherini se défendait de son mieux : il finit par faire entendre au prince, avec beaucoup d'inconvenance, que pour juger du mérite d'une œuvre de musique, il est nécessaire de s'y connaître. A peine ces mots sont prononcés, que le prince, doué d'une force herculéenne, saisit Boccherini par ses habits, et, le passant en dehors d'une fenêtre, le suspendit au-dessus de l'abîme. Un cri de la princesse des Asturies le rappela à lui-même, et il rejeta violemment l'artiste à l'extrémité de l'appartement.

  Un pareil acte de brutalité n'a rien qui étonne de la part d'un prince qui poursuivait un ministre du roi son père l'épée à la main, qui donnait des soufflets à un autre et des coups de bâton à un troisième; qui, enfin, se mesurait souvent avec des palefreniers et des portefaix; mais on a peine à comprendre qu'un homme doux et poli, comme l'était Boccherini, y ait donné lieu par une réponse dont l'inconvenance prenait un caractère très grave par le rang de celui à qui elle s'adressait. Quoi qu'il en soit de l'exactitude de l'anecdote, il est certain que l'influence mauvaise de Brunetti sur l'esprit de son maître ne cessa pas après que celui-ci fut monté sur le trône, et qu'elle se fait reconnaître dans l'abandon et dans la misère ou vécut Boccherini jusqu'à la fin de ses jours. A l'abri du besoin tant que vécut son protecteur, l'infant don Louis, Il connut les soucis d'une existence précaire après la mort de ce prince.  En 1787 il dédia un de ses ouvrages au roi de Prusse Frédéric-Guillaume II, grand amateur de musique et protecteur des artistes. Une lettre gracieuse, le diplôme de compositeur de la chambre du roi et une tabatière de prix remplie de frédérics d'or furent la récompense de cette dédicace. Dès ce moment, Boccherini n'écrivit plus que pour le roi de Prusse, comme le prouvent ses manuscrits depuis 1787, ainsi que cette note de son catalogue thématique autographie, sous la même année: Tutti le seguenti opere sono state scritte espressamente per S. M. il Re di Prussia. Les dix années qui suivirent s'écoulèrent sans apporter de changement dans la fortune du compositeur; mais Frédéric Guillaume II mourut le 16 novembre 1797, et de nouveaux embarras assaillirent Boccherini.

  C'est dans ces circonstances que Lucien Bonaparte fut envoyé comme ambassadeur de la République française à Madrid. Homme d'une haute intelligence, amateur éclairé des arts, et plein de générosité, il récompensa magnifiquement l'hommage de six quintettes pour le piano dédiés à la nation française que Boccherini mit sous son patronage, et douze autres quintettes pour deux violons, deux altos et violoncelle, belles compositions, les seules qu'il a écrites en ce genre, et qu'il dédia à son nouveau protecteur. La mauvaise fortune qui avait poursuivi l'illustre artiste pendant la plus grande partie de sa vie vint encore le visiter alors ; car Lucien Bonaparte fut bientôt rappelé à Paris, et avec lui disparurent les ressources momentanées dont Boccherini avait joui peu de temps.

  Une seule lui restait dans le marquis de Benavente, dont il avait fait la connaissance vers 1796, et qui, amateur passionné de guitare, lui avait demandé des compositions avec une partie obligée pour cet instrument. Satisfaisant à cette demande, Boccherini avait arrangé de cette manière un assez grand nombre de ses anciens ouvrages; mais tout cela avait un terme, et les besoins d'une famille n'en ont pas. Parvenu à la vieillesse, et envisageant avec effroi le sort qui lui était réservé pour ses dernières années, Boccherini avait songé à quitter l'Espagne pour la France, certain qu'il était de trouver à Paris de la sympathie et des ressources pour son talent : mais pour faire une longue route avec une famille, il fallait de l'argent qu'il n'avait pas.  Mme Gall le vit à Madrid, dans un voyage qu'elle y fit en 1803. N'ayant alors qu'une seule chambre pour son logement et celui de toute sa famille, troublé dans ses travaux par le bruit que faisaient incessamment ses enfants, il avait imaginé de faire construire une espèce d'appentis en bois, où il se retirait au moyen d'une échelle, lorsqu'il voulait travailler en repos. Néanmoins sa gaîté ne l'avait point abandonné. Heureux par l'art qu'il aimait avec passion, quoiqu'il ne lui procurât pas même en Espagne les jouissances de l'artiste, c'est à dire celles de l'amour-propre; travaillant pour lui-même, sans autre but que celui de se plaire à ce qu'il faisait, et de procurer un morceau de pain à sa famille, il avait conservé l'active imagination de la jeunesse, et tous ses maux étaient oubliés dès qu'il pouvait se livrer en liberté à ses inspirations. Doué d'une douceur inaltérable, jamais il ne montrait le moindre mouvement d'impatience contre la mauvaise fortune. Telle était d'ailleurs sa probité délicate, que, dans cette triste position, il refusa cent louis que Mme Gall était chargée de lui offrir pour son Stabat, parce que ce morceau lui avait été demandé par une autre personne qui ne le lui payait que soixante piastres (environ 280 francs). Cependant les dernières années de sa vie furent remplies par un travail sans relâche, devenu pénible pour un vieillard, et si mal payé, que l'indigence de l'artiste était extrême lorsqu'il expira, le 28 mai 1805, à l'âge de plus de soixante-cinq ans, suivant l'acte de décès inscrit dans les registres de la paroisse Saint-Juste, à Madrid. On a dit que la cour et les grands honorèrent ses funérailles; mais, d'après les renseignements que s'est procurés M. Picquot, son convoi soit au contraire sans pompe, et ne fut accompagné que d'un petit nombre d'amis dévoués.

  

  Boccherini avait été marié deux fois. Il ne fut pas plus heureux comme père et comme époux qu'il ne l'était comme artiste; car il eut le malheur de perdre deux filles déjà grandes, et sa seconde femme mourut à ses côtés, frappée d'apoplexie foudroyante. Tous ses autres enfants l'ont suivi dans la tombe. Le dernier, don José, archiviste du marquis Séralbo, est décédé en 1847, laissant un fils, don Ferdinando Boccherini, professeur à l'académie des arts de Madrid, qui a fourni à M. Picquot quelques renseignements sur son illustre aïeul,


  Jamais compositeur n'eut plus que Boccherini le mérite de l'originalité : ses idées sont tout individuelles, et ses ouvrages sont si remarquables sous ce rapport, qu'on serait tenté de croire qu'il ne connaissait point d'autre musique que la sienne.  La conduite, le plan de ses compositions, leur système de modulation, lui appartiennent en propre comme les idées mélodiques.  Admirable par la manière dont il sait suspendre l'intérêt par des épisodes inattendus, c'est toujours par des phrases du caractère le plus simple qu'il produit l'effet le plus vif. Ses pensées, toujours gracieuses, souvent mélancoliques, ont un charme inexprimable par leur naïveté.  On a souvent reproché à Boccherini de manquer de force, d'énergie : c'est ce qui a fait dire au violoniste Puppo que ce compositeur était la femme de Haydn; cependant plusieurs de ses quintetti sont empreints d'un caractère de passion véhémente. Son harmonie, quelquefois incorrecte, est féconde en effets piquants et inattendus. Il fait souvent usage de l'unisson, ce qui réduit parfois son quintette à un simple duo; mais, dans ce cas, il tire parti de la différence des timbres avec une adresse merveilleuse, et ce qui serait un défaut chez un autre, devient chez lui la source de beautés qui lui sont propres. Ses adagios et ses menuets sont presque tous délicieux ; ses finales seules ont vieilli. Chose singulière, avec un mérite si remarquable, Boccherini n'est connu maintenant qu'en France.  L'Allemagne dédaigne sa simplicité naïve, et l'opinion qu'en ont les artistes de ce pays se résume dans un mot prononcé par Spohr à Paris, dans une réunion musicale où l'on venait d'exécuter quelques- uns des quintetti du maître italien. 

  On demandait au célèbre violoniste et compositeur allemand ce qu'il en pensait : Je pense, répondit-il, que cela ne mérite pas le nom de musique !  Il est rádieux que la manière de sentir se formule comme les idées chez les artistes, et qu'un homme de mérite, passionné pour les transitions fréquentes, soit arrivé au point de ne plus trouver de charme aux choses simples et naturelles; et, ce qui est bien plus triste encore, devenir insensible au mérite de créations toutes originales et individuelles. Heureux l'artiste qui sait certaines choses qu'on ignorait au siècle avant lui; mais malheureux cent fois celui dont le savoir se transforme en habitudes, et qui ne comprend que ce qu'on fait de son temps. L'art est immense; gardons-nous de le circonscrire dans une forme et dans une époque.

  Baillot, interprète admirable des œuvres de tous les grands maîtres, avait su conserver à celles de Boccherini tout le charme de la jeunesse. Après lui, cette musique ravissante a été négligée par les jeunes artistes. Bientôt elle sera tombée dans un profond oubli; car le nombre d'amateurs intelligents qui la connaissent et en sentent les beautés diminue chaque jour. Je fais ce qui est en mon pouvoir pour en perpétuer le souvenir, en la faisant exécuter par les jeunes artistes du Conservatoire de Bruxelles ; mais bientôt je ne serai plus : Dieu fait ce qui en adviendra quand j'aurai fermé les yeux.


  Doué d'autant de fécondité que d'originalité, Boccherini a produit trois cent soixante-six compositions instrumentales, dont les formes primitives sont classées de cette manière : 6 Sonates pour piano et violon; 6 idem pour violon et basse ; 6 duos pour 2 violons ; 42 trios pour 2 violons et violoncelle, dont 2 sont inédits; 12 idem pour violon, alto et violoncelle; 91 quatuors pour 2 violons, alto et violoncelle; dont 24 inédits; 18 quintettes pour flûte ou hautbois, 2 violons, alto et violoncelle; 12 idem pour flûte, 2 violons, alto et violoncelle; 12 idem pour piano, 2 violons, alto et violoncelle; 113 idem pour 2 violons, alto et 2 violoncelles, dont 20 inédits; 12 idem pour 2 violons, 2 altos et violoncelle, tous inédits; 18 sextuors pour divers instruments, dont 2 inédits; 2 octuors idem inédits ; 20 symphonies, dont 11 inédites ; 8 symphonies concertantes; 1 concerto de violoncelle. Ces compositions, disposées en œuvres, n'ont pas été faites dans l'ordre des numéros qu'on leur donnés en les publiant. Les divers arrangements qui en ont été faits et auxquels on a donné des numéros, comme s'ils étaient des autres originales, contribuent aussi à jeter du désordre dans leur site chronologique; enfin, des supercheries commerciales ont fait figurer parmi les productions de Bocchieri quelques œuvres apocryphes.

  M. Picquot, qui a réuni la plupart des éditions primitives, toutes peut-être, et qui a eu connaissance des autres, les range dans l'ordre suivant : 

Op.1: Sei sinfonie o sia quartetti per due violini, alto e violoncello, dedicati a veri dilettanti e conoscitori di musica; Paris, Venter; Amst., Hummel. - 

Op.2: Six trios à 2 violons et violoncelle; Paris, La Chevardière. - 

Op.3 : Six idem, 2° livre ; ibid. M. Picquot considère cet œuvre comme apocryphe.

Op.4: Sei sinfonie a tre, per due violini e violoncello; Paris, Venier, 3° livre. 

Op.5: Six duos pour 2 violons, Paris, La Chevardière. - 

Op.6: Sei sonate di cembalo e violino obligato dedicate a Madama Brillon de Jouy; Paris, Venier; composés en 1788, op.5 de l'auteur. 

Op. 6:(bis) Sei quartetti per due violini, alto e violoncello ; Paris, Venier; Amsterdam, Hummel, avec indication d'op.2; composées en 1769, op.8 de l'auteur.

Op. 7: Sei conversazioni a tre, per due violini e violoncello, dedicate a gli amatori della musica, Paris, Miroglio, au bureau d'abonnement musical, 4° livre de trios. Ces trios de figurent pas dans la catalogue thématique des oeuvres de Boccherini dressé par lui-même; cependant, quoique des doutes se soient élevés sur leur authenticité et qu'on les ait attribués à Marescalchi, marchand de musique à Naples, M. Picquot n'hésite pas à les reconnaître pour appartenir à l'illustre compositeur.--

Op.8: Concerto a più stromenti concertanti, due violini, oboe, violoncello, alto e basso obligati, due violini, fagotti e corni di ripieno, composto per la corte di Madrid; Paris, Venier; composé en 1769, couvre 7 de l'auteur. - 

Op.9: Sei terzetti per due violini e violoncello, dédiés au prince des Asturies : Paris, Venier; composé en 1676, op.6 de l'auteur. - 

Op.10 : Sei quartetti per due violini, alto e violoncello, dedicati alli signori dilettanti di Madrid; Paris, Venier; Amsterdam, Hummel, avec indication d'op.7; composé en 1770, op.9 de l'auteur. - 

Op.11: Sei divertimenti per due violini, alto e violoncello ; Paris, Venier; Amsterdam, Hummel, avec indication d'op.8; composé en 1772, op.16 piccola de l'auteur.-

Op.12: Sei quintetti per due violini, viola e due violoncelli; Paris, Venier; composé en 1771, op.10 de l'auteur.

Op.13: Sei quartetti per due violini, viola e due violoncelli; ibid.; composé en 1771, op.11 de l'auteur

Op.14 : Sei terzetti per violino, viola e violoncello; Paris, La Chevardière; composé en 1772, op. 14 de l'auteur. 

Op.15: Sei divertimenti per due violini, flauto obligato, viola, due violoncelli, e basso di ripieno, espressamente composti per S. A. R. don Luigi, Infante di Spagnia; Paris, La Chevardière. Composé en 1773, op.16 de l'auteur. 

Op.16: Six symphonies à plusieurs instruments récitants, composées pour S. A. R. l'Infant Don Louis d'Espagne; ibid., 1771, op.12 de l'auteur. - 

Op.17 : Sei quintetli per due violini, viola e due violoncelli; ibid., 1774, op.18 de l'auteur. 

Op.18 et 19 : inconnus. 

Op.20 : 6 idem; Paris, Venier, 1772; op.13 de l'auteur. - 

Op.21 : Six quintetti pour flûte, 2 violons, alto et violoncelle; Paris, La Chevardière, 1773, op.17 piccola de l'auteur. 

Op.22: Sei sinfonie per due violini, viola e basso, oboi o flauti e corni; Paris, Sieber, 1775, op.21 de l'auteur.- 

Op.23 : Sei quintetti per due violini, viola e due violoncelli; Paris, Venier, 1775, op.20 de l'auteur. - 

Op.24 : Sei sestetti concertanti per due violini, due viole e due violoncelli; Paris, Sieber, 1776, op. 23 de l'auteur, 

Op.25 : Sei quintetti pour flûte, deux violons, alto et violoncelle ; Paris, La Chevardière, 1774, op.19 de l'auteur, 

Op.26: Sei quartetti per due violini, alto e basso, libro quinto di quartetti ; ibid., 1775, op.22 de l'auteur. --

Op.27: Sei quartetti concertanti per due violini, alto e violoncello; Paris, Sieber; Amsterdam, Hummel, avec indication d'op.11; 1777, op.24 de l'auteur.-

Op.27 'bis: Concerto pour flûte; Paris, Frère; ouvrage apocryphe et sans mérite. - 

Op.28. Six trios dialogues pour deux violons et violoncelle ; Paris, Bailleux, Supercherie mercantile. - 

Op.29, 30, 31, Inconnus.--

Op.32: Six quatuors à deux violons, viole et basse obligés, production peut digne de Boccherini, écrite en 1778, op.26 de l'auteur. --

Op.33 : Six idem à deux violons, alto et violoncelle; Paris, Sieber, 1780, op.32 de l'auteur. 

Op.34: Concerto per il violoncello obligato; Amsterdam, Henning; Vienne, Cappi.-

Op.35: Six trios pour deux violons et violoncelle; Paris, Boyer, 1781, op.34 de l'auteur. 

Op.36 : Trois quintetti pour deux violons, alto et deux violoncelles; Paris, Imbault, 1778, op 25 de l'auteur. Cet ouvrage était composé de six quintettes; les autres ont été reportés dans les publications postérieures.-

Op.37: Six duos concertants pour deux violons; Paris, Barbieri. Supercherie de commerce : Agus est l'auteur de ces duos. -

Op.37 bis : Vingt-quatre nouveaux quintetti à deux violons, alto et deux violoncelles; Paris, Pleyel. Collection formée d'un choix fait dans les œuvres composés par Boccherini depuis 1778 jusqu'en 1795. Il faut lire la note de M. Picquot sur cette collection : à l'aide du catalogue thématique original de l'auteur, il y indique les œuvres auxquels appartient chaque numéro, avec la date de la composition. Une erreur singulière est échappée à cet amateur distingué, lorsqu'il dit que le numéro 42, écrit en 1793, est un développement d'un motif du duo Cara, cara, du Matrimonio segreto, et fait à ce sujet un rapprochement et un éloge chaleureux du génie des deux compositeurs : il a oublié que le Matrimonio segreto ne fut composé à Vienne que dans cette même année 1793, et qu'à cette époque aucune communication n'était possible entre l'Allemagne et Madrid. Nul doute que la ressemblance des deux motifs n'ait été fortuite.-

Op.38: Six Trios pour violon, alto et violoncelle ; Paris, Pleyel, huitième livre, 1793, op. piccola 47 de l'auteur-

Op.39: Douze quatuors pour deux violons, alto et violoncelle, première, deuxième, troisième et quatrième livraisons; Paris, Pleyel. Collection formée de compositions prises dans diverses œuvres de l'auteur. - 

Op.40: Six quartettini pour deux violons, alto et violoncelle; Paris, Pleyel. 1796, op. piccolo 63 de l'auteur…

Op.41: Symphonie concertante d’huit instruments obligés, deux violons, deux violoncelles, alto, hautbois ou flûte, cor et basson; Paris, Pleyel, 1797, op. piccola 38 de l'auteur.- 

Op.42: Premier sextuor pour deux violons, alto, cor et deux violoncelles; Second sextuor pour violon, viole, basson, hautbois ou flûte, contrebasse et cor; Paris, Pleyel, 1797, op.38 piccola de l'auteur.-

Op.43 : Ouverture à grand orchestre pour deux violons, deux altos, violoncelle, contrebasse, deux hautbois, deux cors et basson; ibid., 1790, op.43 de l'auteur. -

Op.44 : Six trios pour deux violons et violoncelle ; Paris, Pleyel, neuvième livre, 1798, op. 54 de l'auteur. Deux trios de cet autre original ont été supprimés par l'éditeur et remplacés par deux autres trios tirés de l'oeuvre 35; puis les deux trios supprimés ont été arrangés en duos et publiés comme les par le même éditeur. - 

Op.45 : Six nouveaux quintetti pour flûte ou hautbois, deux violons, alto et violoncelle; Paris, Pleyel, 1797, op. piccola 55 de l'auteur, composé pour Barli, excellent hautboïste italien attaché à la musique du roi d'Espagne Charles IV. -

Op.46 (1): Six duos pour deux violons ; ibid. - 

Op.46 bis : Six quintetti pour piano, deux violons, alto et violoncelle; ibid., 1797, op.56 de l'auteur - 

(1) Voir pour cet œuvre la remarque sur l'œuvre 44.


Op.47: Douze nouveaux quintetti pour deux violons, viole et deux violoncelles, en 4 livraisons; ibid. Collection formée de quintettes choisis dans divers œuvres. - 

Op.48 : Six quintetti idem ; ibid. Même observation que pour les précédents. 

Op.49 : Six quintettini pour deux violons, alto et deux violoncelles; ibid., 1779, op.27 de l'auteur. - 

Op.50: Six quartetti, idem, nos 82 à 87 de la collection publiée par Janet et Cotelle, 1788, op.40 de l'auteur. 

Op.51: Six idem, seizième livre, nos 88 à 93 de la même collection, 1779-1795, op.50 de l'auteur. 

Il n'y a point d'autres connus sous les op. 52 à 57. - 

Op.58: Six quartetti à deux violons, alto et violoncelle; Paris, Sieber; 1799, op.58 de l'auteur.


-- Ouvrages publiés sans numéro d'œuvre : 

1° Première symphonie à quatre parties obligées, cors de chasse ad libitum, del signor Bouqueriny (sic), imprimée avec les nouveaux caractères, par Grange; Paris, 1767, in-fol, Supercherie commerciale. - 

2° Six sonates à violon seul et basse; Paris, La Chevardière. - 

3° Quatre concertos pour violoncelle, nos.1 à 4: Paris, Miroglio, Hoyer. Moine observation. 

4° Sérénade à deux violons, deux hautbois, deux cors et basse, composée à l'occasion du mariage de l'infant don Louis d'Espagne (le 25 juin 1776), petit format obl; Lyon, Guerra. Menue observation. -

5° Six sonates en trios pour le clavecin ou piano-forte, avec acc. de violon et basse; Paris, La Chevardière; Boyer. Même observation. -

6° Trois trios pour flûte, violon et basse; Paris, Boyer, - 

7° Trois trios pour flûte, violon et basse. Livre deuxième; ibid. - 

8° Trois quatuors pour flûte, violon, alto et basse, livre premier; ibid. - 

9° Trois quatuors, idem: ibid. Ces quatre ouvrages ont été fabriqués avec des fragments des premières compositions de Boccherini. -

10° Six sonates pour piano et violon ; Paris. Ouvrage arrangé d'après des quatuors et quintettes. - 

11° Trois idem, op.2; Offenbach, André. Ces sonates sont extraites et arrangées des premiers trios pour violon, alto et violoncelle, op.14. - 

12° Trois idem, livre 3; Paris, Sieber... 

13° Trois idem, liv. 4 ; ibid. 

14° Six sonates idem, livre cinquième; Amsterdam, Hummel. - 

15° Six idem, Vienne, Artaria. Il n'est pas douteux que tout cela est supposé ou arrangé. 16° Trois quatuors pour flûte, violon, alto et violoncelle, œuvre cinquième pour la flûte; Paris, Pleyel. Arrangés d'après les quintetti no 44, 45 et 60 de la collection Janet et Cotelle. -

17° Première symphonie périodique à grand orchestre: Paris, Pleyel. Ouvrage original, 1792, op.46 de l'auteur. - 

18° Deuxième symphonie périodique, idem, ibid., 1792, op.47 de l'auteur. -

19° Six quintetti spécialement composés pour le piano forte avec acc.obligés de deux violons, deux altos et violoncelle; œuvre posthume, dédié à Mme la duchesse de Berry; Paris, Nanzon. Ce sont les quintettes dédiés à la nation française et mis sous le patronage de Lucien Bonaparte. - 

20° Douze nouveaux quintetti pour deux violons, deux altos et violoncelle, composés à Madrid pour le marquis de Benavente, œuvre posthume. Première livraison; Bordeaux, Leduc père; Paris, Auguste Leduc. Supercherie mercantile. Ces quintetti sont des arrangements dans lesquels la partie de guitare a été transformée en partie d'alto. 

21° Stabat Mater à trois voix (deux soprani et ténor), avec deux violons, alto, violoncelle et contrebasse; Paris, Sieber, 1804, op.61 de l'auteur. 

Indépendamment des arrangements indiqués précédemment, on connaît encore : 

Trois sonates pour piano, violon et violoncelle, tirées des nouveaux quintetti de Boccherini, par Ignace Pleyel; Paris, Pleyel. Ces sonates sont les quintettes nos 45, 55 et 64 de la collection publiée par Janet et Cotelle. 

Une seconde suite, qui n'a pas été complétée, ne contient que le n° 65 de la même collection. - 

Trois sonates pour piano, violon et alto, tirées des nouveaux manuscrits de Boccherini, par Hérold père, op.11; ibid. Ces sonates sont arrangées d'après les nos 44, 50 et 63 de la même collection. - Quintetto de Boccherini en ré mineur, arrangé en trio pour piano, violon et basse, par le marquis de Louvois; Paris, Schlesinger.--Idem, en sol mineur, arrangé pour les mêmes instruments, pour le même; ibid. (1) 

 

(1) Il faut lire les notes intéressantes de M. Picquot sur toutes ces publications. Cet amateur distingué a fait quelque sorte l'occupation de sa vie du soin de rassembler les œuvres de Boccherini, de les étudier et d'en suivre la filiation. On lui voit poursuivre pendant dix-huit ans la recherche d'un ouvrage qui lui manquait, et écrire à ce sujet une multitude de lettres. D'ailleurs l’avantage qu'il a eu de posséder le catalogue thématique dressé par Boccherini de toutes ses compositions lui a fourni le moyen de rectifier un grand nombre d'œuvres échappées aux biographies, et à moi-même dans la première édition de cette Biographie universelle des Musiciens. Il est un point cependant sur lequel je ne puis lui céder, parce que ma certitude est inébranlable: Il s'agit d'un passage où j'ai dit que Cambini a écrit pour Pleyel, éditeur, des imitations de compositions de Boccherini qu'on a publiées parmi les œuvres originales de ce grand artiste. Outre l'opinion générale à ce sujet, lorsque j'étais élève au Conservatoire de Paris, j'ai pour preuve le témoignage de Cambini lui-même. Je disais avec lui chez l'éditeur Auguste Leduc, et avec Choron, alors associé de celui-ci. C'était, si j'ai une bonne mémoire, en 1807. Dans la conversation, Choron dit tout à coup :

« Est-il vrai, père Cambini, que vous avez fabriqué du Boccherini pour les marchands, notamment pour Pleyel ?  -- Très vrai; et j’ai eu tort; car on me payait bien peu pour cela.  -- Si on avait voulu payer plus cher, dit Leduc, on se serait adressé à Boccherini. -- Qui n’aurait peut-être pas si bien réussi, dit le bonhomme, avec sa suffisance habituelle. »

  Voilà la vérité : rien ne peut l’ébranler pour moi.



  Une collection de quatre-vingt-quinze quintetti de Boccherini a été publiée par Janet et Cotelle, à Paris. Elle est fort belle, mais malheureusement incorrecte. Les mêmes éditeurs ont publié une autre collection de cinquante-trois trios du même compositeur.

  La notice de Boccherini par M. Picquot renferme un catalogue thématique des ouvrages inédits de ce maître, rangés par ordre chronologique. On y trouve l'indication de trente-cinq quintetti, dont douze pour deux violons, deux altos et violoncelle; de vingt-trois quatuors grands et petits; de deux trios; de onze symphonies pour l'orchestre; de deux sextuors; de deux octuors, de douze airs de concert pour voix et instruments; d'une cantate sur le sujet d'Inès de Castro; d'une messe à quatre voix et instruments, d'une cantate pour la Nativité, à quatre voix, choeur et orchestre, dédiée à l'empereur de Russie; de Villancicos (motets pour la fête de Noël) à quatre voix et orchestre, composés en 1783, et d'un opéra ou mélodrame (la clementina).


Extrait de Tome I; P.451-458 de la « Biographie Universelle des Musiciens » par François-Joseph Fétis, 1860-1866 @BnF Gallica.



mardi 18 mai 2021

ROSSINI (Gioachino)

(le 29 février 1792 - le 13 novembre 1868) 


ROSSINI (JOACHIM), le plus illustre, le plus populaire des compositeurs dramatiques de l’Italie au dix-neuvième siècle, est né le 29 février 1792 à Pesaro, petite ville de l'État de l'Eglise. Son père, Joseph Rossini, jouait du cor, at allait de foire en foire faire sa partie dans les orchestres improvisés des opéras de circonstance qu'on y organise chaque année; sa mère, Anne Guidarini, chantait des rôles de secondes femmes dans ces opéras forains.  De retour à Pesaro, après la récolte de la saison, la famille Rossini y vivait le reste de l'année du mince produit de ses excursions dramatiques. Ce fut au sein de cette existence obscure et pauvre que se passèrent les premières années de celui qui, plus tard, a donné tant de lustre à son nom. Deux versions se sont répandues sur ce qui concerne son enfance : d'après la première, il n'aurait commencé l'étude de la musique qu'à l'âge de douze ans, sous un maître de Bologne. Suivant l'autre, il suivait déjà la profession de son père dès sa dixième année, jouant la deuxième partie de cor dans les opéras forains. Celle-ci est exacte. Ses parents ne songèrent à lui donner une éducation régulière de musicien qu'après avoir remarqué la beauté de sa voix : alors, c'est-à-dire en 1804, on lui donna pour mettre Angelo Tesel, de Bologne, qui lui enseigna le chant, le piano, et lui fit chanter des solos de soprano dans les églises. Deux ans après, Rossini était déjà grand lecteur à première vue et accompagnateur habile. Ses parents conçurent le projet de tirer quelque avantage de son talent précoce, et de l'attacher, non plus comme simple corniste aux spectacles des foires de la Romagne, mais en qualité de 
maestro al cembalo. Le 27 août 1806 il s'éloigna de Bologne pour aller à Lugo, puis à Ferrare, Forli, Sinigaglia, et dans quelques autres petites villes. Pendant cette tournée, la mue de sa voix se déclara, et il cessa de chanter. Devenu, par cet accident, hors d'état de remplir ses fonctions de maître des choristes de théâtre, il rentra à Bologne, et le 26 mars 1807, il fut admis au lycée de cette ville, et y reçut de l'abbé Mattei des leçons de contrepoint.

   Peu d'organisations musicales ont été moins bien disposées que celle de Rossini pour une soumission passive aux préceptes de l'école. Impatient d'écrire, et guidé par son instinct vers la carrière de compositeur dramatique, il ne comprenait pas l'utilité des exercices qu'on lui faisait faire dans l'art d'écrire d'un style pur et correct, à quatre, cinq ou six parties réelles, sur la gamme ou sur un plain-chant donné. Encore moins pouvait-il se décider à ne faire usage dans ce qu'il écrivait que d'harmonies simples et consonantes sans modulations; lui dont le penchant naturel tendait vers ces associations d'accords ou toutes les tonalités sont mises en un contact sans cesse variable. Toute la science de Mattei, assurément incontestable, était de peu de ressource pour diriger le génie d'un tel élève. Ce maître n'avait qu'une méthode, et les ressources de son esprit n'étaient pas assez riches pour la modifier en faveur d'une audacieuse intelligence (1). 


  1.  Il ne faut pas croire toutefois ce qu'ont écrit certains journalistes du mépris qu'aurait eu Rossini pour les formes scientifiques de l'ancienne musique. Voici ce que lui-même m'en a dit dans une conversation sérieuse en 1841, sa villa, près de Bologne. Je lui avalu donné quelques jours auparavant mon Esquisse de l'histoire de l'harmonie, et lui avais dit en la remettant ce volume: Vous ne lirez pas cela, mais je ne crois pas pouvoir mettre ce livre en des mains plus dignes que dans celles de l'homme qui a été créateur dans l'harmonie. Il sourit et ne répondit rien. Quelques jours après, j'allai Iui revoir ; il vint au-devant de moi dans son jardin et entama immédiatement la conversation de cette manière : 

«J'ai lu votre ouvrage avec un grand intérêt : c'est une chose curieuse que l'invention et les progrès de cette harmonie , partie si essentielle de la musique, si je vous avais eu pour maître, mon cher Fétis, j'aurais été ce qu'on appelle un savant musicien, car j'avais le goût des combinaisons de la musique des anciens maîtres le plus vif plaisir que la musique m'ait fait éprouver est l'exécution en 1819, de quelques morceaux de Palestrina à la chapelle pontificale de Rome.  Mais j'avais à Bologne un ….. qui, lorsque je lui demandais la raison de ce qu'il me faisait faire, me répondait toujours par l'autorité de l'école.  Je l'ai envoyé promener et n'ai plus consulté que mon goût.»


   Après avoir conduit ses élèves pas à pas dans les variétés de l'art élémentaire désigné sous le nom de contrepoint simple, et lorsqu'il se disposait à les introduire dans les combinaisons plus difficiles des canons, des contrepoints doubles et de la fugue, il lui arriva de leur dire que la connaissance de ce contrepoint simple, objet de leurs études précédentes, n'était suffisante que pour écrire de la musique libre; mais que pour le style ecclésiastique, il était nécessaire de posséder un savoir plus étendu. A ces mots, Rossini s'écria : 

« Maître! que dites-vous? quoi; avec ce que j'ai appris jusqu'à ce jour, on peut écrire des opéras? -- Sans doûte, -- C’est assez; je n'en veux pas avoir davantage; car ce sont des opéras que je veux faire. »

   Là, en effet, se bornèrent ses études scolastiques qui lui furent de peu du secours, parce que la négligence et le dégoût y avaient présidé; mais il y suppléa par une étude pratique, plus profitable pour un esprit de sa trempe : elle consistait à mettre en partition des quatuors et des symphonies de Haydn et de Mozart : de celui-ci surtout; car le génie de Mozart, incompris jusqu'alors en Italie, était en merveilleux rapport avec les juvéniles pensées du futur grand artiste. Maintes fois il m'a dit qu'il avait mieux compris les procédés de l'art, dans ce travail facile, qu'il n'aurait pu le faire pendant plusieurs années d'après l'enseignement de Mattei.

   Les premières productions du talent de Rossini avaient été une symphonie à grand orchestre, des quatuors de violon, qu'on a eu le tort de publier contre le voeu de leur auteur, et une cantate intitulée il Pianto d'Armonia, qui fut exécutée à Bologne 11 août 1808. Il était alors âgé de seize ans et quelques mois. De retour à Pesaro dans les premiers mois de 1810, il y trouva chez quelques amateurs, particulièrement dans la famille Perticari, des protecteurs qui aidèrent ses premiers pas dans une carrière où il devait acquérir une gloire enviée de tous les musiciens de son époque. 

  Ce fut par leurs soins que Rossini obtint un engagement pour écrire son premier opéra. Cet ouvrage fut joué pendant l'automne de 1810 au théâtre San-Moisè de Venise, sous le titre de La Cambiale di matrimonio. Le succès de cette production fut ce que pouvait être celui d'un petit opéra en un acte écrit par un compositeur de dix-neuf ans encore inexpérimenté. De retour à Bologne, Rossini y attendit l'occasion d'un second essai, qu'il fit dans l'automne de 1811, au théâtre del Corso de cette ville, dans un opéra bouffe intitulé l'Equivoco stravagante. Malgré le talent de la Marcolini, chargée du rôle principal de cet ouvrage, il pe réussit pas; mais Rossini se releva bientôt à Rome par le Demetrio e Polibio, écrit pour le théâtre Valle de Rome, et qui fut joué par Mombelli et ses filles, La se trouvait un délicieux quatuor où le génie du compositeur se révélait tout entier, et qu'on a depuis lors intercalé dans d'autres ouvrages du même artiste. 

  Dès l'année 1812, l'admirable fécondité du génie de Rossini se manifesta d'une manière non équivoque; car il écrivit pour le carnaval l'inganno felice, au théâtre San-Mose, de Venise; au carême, Ciro in Babilonia; pour le théâtre, Communale de Ferrare; au printemps, la Scala di seta, pour le théâtre San-Mose, de Venise; à l'automne, la Pietra di paragone, pour le théâtre de la Scala, à Milan; et dans la même saison, l’Occasione fa il ladro; pour Venise. Tout n'était pas bon dans ces cinq opéras écrits en si peu de temps, et dont la fortune ne fut pas égale: à peine a-t-on retenu Ies titres de la Scala di scia et de l'occasione fa il ladro; mais un très-beau trio de l'Inganno felice, mais deux airs et surtout un chœur de Ciro in Babilonia, dont la délicieuse cantilène est devenue plus tard le thème de la cavatine du Barbier de Séville (Ecco ridente); mais la cavatine (Ecco pietosa tu sei la sola) et le finale du premier acte de la Pietra del paragone, ne laissaient plus de doute sur la richesse d'imagination du nouveau maître.

  Dans l'année suivante, Tancredi, écrit pour la fenice, de Venise, et l'Italiana in Algeri, composé pour le théâtre San-Benedetto de la même ville, firent saluer leur auteur par l'opinion publique comme le premier des compositeurs dramatiques vivants de l'Italie. Le ton chevaleresque du premier de ces ouvrages; la noble mélancolie du rôle de Tancrède; l'intérêt soutenu pour la première fois d'un bout à l'autre d'un opéra sérieux italien, par une verve continue d'inspiration; une harmonie dont les successions piquantes étaient auparavant ignorées chez les compatriotes de Rossini ; enfin une instrumentation dont les formes n'étaient pas moins nouvelles pour eux; tout cela, dis-je, procura à la création de l'artiste un de ces succès d'émotion qui sont les signes certains d'une époque de réelle transformation de l'art. L'abus de certains moyens d'effet, tels que les crescendo, les cabalette, et de singulières négligences de style et de l'acture semées, çà et là, faisaient mêler, il est vrai, les sévères improbations des critiques de profession aux élans de l'admiration des dilettanti, mais déjà l'auteur de Tancrède avait compris que les défauts de cette nature n'ont pour censeurs que les gens du métier, toujours en petit nombre, et que le public n'analyse pas ce qui l'émeut. Ce qu'il voulait, c'était le succès populaire; or, on doit avouer que jarnais compositeur ne l'obtint d'une manière aussi complète, dans les beaux temps de sa carrière.

  En dépit des critiques dont ces innovations étaient l'objet; en dépit des efforts des partisans de l'ancienne école, Rossini n'eut plus de rivaux en Italie après le succès de Tancrède. Venise et Milan, Rome et Naples furent désormais les seules villes qui purent aspirer à l'honneur de l'engager : dès ce moment, il n'écrivit plus que pour leurs théâtres.  Milan eut la bonne fortune de le garder pendant toute l'année 1814 : Il y composa l'Aureliano in Palmira et Il Turco in Italia, charmante bouffonnerie qui n'a de pendant chez Rossini que l'italiana in Algeri, et qui fut son dernier ouvrage de ce genre. En 1815, il ne produisit que l'Elisabeth ; mais il l'écrivit pour le théâtre Saint-Charles de Naples, et cette prise de possession de la première scène lyrique de l'Italia lui parut assez importante pour qu'il y donnât tous ses soins.


  Après cet ouvrage, les années les plus actives de la carrière de Rossini, les plus étonnantes par l'importance des compositions, furent 1816 et 1817 : une grande cantate pour le mariage de la duchesse de Berry, et sept opéras, parmi lesquels on remarque le Barbier de Séville, Otello, Cenerentola et la Gazza Ladra, furent produits dans ce court espace de temps. Chacune de ces œuvres du génie aurait suffi pour faire la réputation d'un compositeur. Le Barbier de Séville fut écrit pour Rome : les phases de sa fortune y présentèrent une des circonstances les plus singulières de l'histoire de la musique dramatique. Le sujet du Barbier de Séville avait été traité en Russie par Paisiello (voyez ce nom), et cet ouvrage, transporté en Italie, y avait trouvé plus de censeurs que d'apologistes. Les Romains, particulièrement, l'avalent mal accueilli. Plus tard, ils se passionnèrent pour cette musique qu'ils avaient dédaignée, et la pensée de lui en opposer une autre sur le même projet leur parut un sacrilège. Torwaldo e Dorliska, faible composition de Rossini qui avait précédé le Barbier à Rome, dans la même saison, ne lui donnait d'ailleurs point assez de crédit dans l'esprit des Romains, pour qu'ils ne considérassent pas son entreprise comme une condamnable témérité. Ce fut sous l'influence fâcheuse de ces préventions que fut donnée la première représentation du Barbier de Séville. Rossini a toujours pensé que le vieux maître napolitain n'était pas étranger aux dispositions hostiles de la foule compacte de ses ennemis dans cette soirée. Quoi qu'il en soit, l'orage qui avait grondé sourdement pendant tout le premier acte éclata au second, et l'exécution de ce chef-d'œuvre éternel de grace et d'élégance coquette ne s'acheva qu'au milieu des témoignages les plus outrageants des improbations. Peu accoutumé aux événements de cette nature, Rossini ne voulut pas reparaître au piano dans la seconde représentation et prétexta une indisposition pour s'en dispenser. Il était profondément endormi lorsque, tout à coup, un grand bruit se fait entendre sous ses fenêtres; quelques personnes franchissent avec fracas l'escalier qui conduit à sa chambre; saisi de frayeur, Rossini se persuade que les partisans de Paisiello le poursuivent jusque dans sa demeure; mais ce sont les interprètes de sa  musique, Garcia, Zamboni, Botticelli, qui viennent lui annoncer que l'ouvrage a été aux nues (alle stelle), et que les spectateurs inondent la rue à la lueur des flambeaux, pour lui donner un témoignage non équivoque de leur admiration. Cette prompte péripétie fit naître le plus vif étonnement dans toute l'Italie, et donna plus d'éclat au succès qu'une si belle composition devait obtenir. C'est dans le Barbier de Séville que Rossini employa à différentes reprises l'effet du rythme à temps ternaires d'un mouvement rapide, qu'il avait essayé dans Il Turco in Italia, et dont il a fait depuis lors un fréquent usage.

  De retour à Naples, et après y avoir donné aux Florentini le petit acte de la Gazzetta, il écrivit pour l'automne son admirable partition d'Otello, et trouva pour ce sujet autant d'accents pathétiques et passionnés, qu'il avait eu d'esprit et de finesse pour Rosine et pour Figaro. Quel est le musicien, le simple dilettante, qui ne se sente encore ému au souvenir de cette musique pénétrante des deux premiers actes si remplis d'énergie, et du troisième, où le génie du compositeur égaie celui de Shakespeare, mais non dans le même sentiment. Les enthousiastes de Shakespeare se sont montrés sévères, disons le mot, injustes pour la musique de Rossini, parce qu'ils auraient voulu qu'il se fit traducteur des inspirations du créateur de la tragédie anglaise; mais c'est précisément parce qu'il est tout autre chose, parce qu'il est lui, génie indépendant, qu'il mérite toute notre admiration. Le sujet étant donné, il l'a senti et rendu avec l'originalité du musicien, de même que Shakespeare l'avait traité avec l'imagination du poêle. Une innovation signale aussi cette belle composition : c'est la complète disparition de l'ancien récitatif libre, remplacé par un récitatif accompagné, où l'instrumentation pittoresque donne un caractère plus décidé à chaque situation, une expression plus vive à toutes les passions. Par là, Rossini acheva de faire disparaître la langueur de l'opéra sérieux, que les plus grands compositeurs n'avaient pu éviter avant lui, dans les intervalles qui séparaient leurs plus beaux morceaux. Incessamment préoccupe de l'effet, Rossini y a peut-être trop sacrifié certaines parties de son art; mais on doit avouer que cette préoccupation lui a fait trouver des beautés inconnues avant lui.

  Deux mois d'intervalle seulement séparent la première représentation d'Othello à Naples et la mise en scène de Cenerentola à Rome. Ce charmant ouvrage n'eut pour interprètes que des chanteurs de second, et même de troisième ordre, et un orchestre détestable : il ne fit point alors l'effet que nous lui avons vu produire plus tard avec les artistes excellents attachés au Théâtre-Italien de Paris. Au printemps de 1817, la Gazza ladra fut donnée à Milan, et fit une profonde impression. Composition où les plus grandes beautés sont mêlées aux défauts les plus choquants, où l'inspiration libre et pure vient s'allier aux formules de convention basées sur les crescendos, les cabalettes, le retour fréquent des rythmes animés, et le développement progressif de l'effet bruyant, la Gazza ladra reçut à la fois l'éloge et le blâme des gens de goût. Si l'on considère attentivement cette partition, on y voit avec évidence que la compositeur y a poussé jusqu'à ses dernières conséquences le système d'effet établi sur la sensation nerveuse, vers lequel il tendait depuis ses premiers essais. Il prouva du reste qu'il ne s'était pas trompé dans le plan qu'il s'était fait pour cet ouvrage sous le rapport du succès, car celui qu'il obtint fut une sorte de délire; mais il dut comprendre qu'il ne lui restait plus qu'à se répéter dans d'autres ouvrages, s'il ne changeait de manière, ou du moins s'il ne modifiait celle de sa dernière partition. On voit en effet que cette nécessité le préoccupa, car Armide, Mosè, Ermione, la Donna del lago et Maometto Il, qui se succédèrent pendant les années suivantes, présentent des variétés où, malgré le retour de certaines formes habituelles, on découvre une tendance vers la couleur locale et l'expression caractérisée. Ainsi dans Armide, c'est la suavité et le ton chevaleresque qui dominent; dans Mosè, le sentiment religieux; dans Ermione, Rossini cherche la simplicité de la déclamation lyrique; dans la Donna del lago, il trouve avec un rare bonheur le caractère romantique et montagnard; dans Maometto, d'heureuses oppositions de vigueur sauvage et l'accent du dévouement patriotique. A l'égard de ses partitions d'Auclaide di Borgogna (Rome, 1818), de Ricciardo e Zoraide ( Naples, même année ), d'Eduardo e Cristina (Venise, 1819,) et de Matilde di Sabran, bien qu'on y trouve de beaux morceaux, le ton y est en général plus vague, et le style y tient plus de la forme que de la pensée. Bianca e Faliero n'offre guère qu'un quatuor, morceau délicieux qu'on intercale aujourd'hui dans la Donna del lago.  

   Armide, Mosè, Ricciardo e Zoraide, Ermione, la Donna del lago et Maometto furent écrits pour Naples. Depuis 1815, Rossini avait fixé sa résidence principale dans cette ville, parce que le directeur des théâtres (Barbaja) lui avait accordé un engagement annuel de 12,000 francs, sous la condition qu'il écrirait deux opéras chaque année, et dirigerait la mise en scène de quelques anciens ouvrages. Pendant plusieurs années, ce directeur de spectacles eut l'entreprise non seulement des théâtres de Naples, mais de celui de la Scala à Milan, et de l'Opéra italien de Vienne. Il y faisait entendre ses meilleurs acteurs, et la présence de Rossini était parfois une des conditions de ses marchés. C'est ainsi qu'un 1822, après être devenu l'époux de Mlle Colbran, première cantatrice des théâtres royaux de Naples, le maître alla diriger la musique de l'Opéra de Vienne, où sa Zelmira, chantée par sa femme, Mlle Ekerlin, Nozzari et David, obtint un brillant succès.  II est remarquable que l'Allemagne méridionale, et surtout Vienne, a montré pour sa musique un enthousiasme véritable, tandis qu'à Berlin elle était l'objet de critiques amères.  On peut affirmer que le nord de l'Allemagne s'est montré complètement inintelligent à l'égard du génie le plus remarquable de son époque en musique. Mendelssohn même, si grand musicien qu'il sait, a montré un esprit étroit dans sa répugnance pour les œuvres de ce génie.

Après avoir reçu de la famille impériale et de la haute société de la capitale de l'Autriche l'accueil le plus flatteur, Rossini retourna à Naples, puis se rendit à Venise pour y écrire la Semiramide, le dernier ouvrage qu'il composa en Italie, et qui porte le cachet d'une nouvelle transformation de son talent. La richesse d'idées neuves, la variété des formes et leur tendance vers l'élévation du style, enfin la nouveauté des combinaisons instrumentales, donnent à cet ouvrage un prix considérable, quoiqu'on puisse y reprendre des longueurs et l'abus du bruit qui, devenu un modèle pour l'autres compositeurs, a été dépassé et nous a conduits aux excès de l'époque actuelle. Trop large pour les oreilles italiennes, au moment où elle fut écrite, Semiramide n'eut qu'un succès médiocre à Venise, dans le carnaval de 1823. Blessé d'une indifférence qu'il considérait avec raison comme une injustice, Rossini quitta sans regret la terre qui l'avait vu naître, pour se rendre à Paris et à Londres, où l'attendait l'enthousiasme le plus exalté. Il était à Paris, au mois de mai de la même année, et ne s'y arreta que quelques jours parce qu'il avait un engagement dans la capitale de l'angleterre, où il resta cinq mois, occupe de concerts et de leçons dont les produits s'élevèrent à la somme énorme de deux cent cinquante mille francs, y compris deux mille livres sterling qui lui furent offertes par une réunion de membres du parlement. Au mois d'octobre, il retourna à Paris, où l'appelaient des arrangements faits avec le ministre de la maison du roi, pour la direction de la musique de Théâtre-Italien.

  En Italie, les jouissances d'un compositeur dramatique sont peut-être plus vives qu'à Paris, parce que l'admiration s'y exprime d'une manière plus expansive : mais les du grâces y sont plus poignantes, parce que l'improbation n'y a pas de retenue. L'habitude qui s'y est conservée de livrer au public la personne même de l'artiste, en le faisant asseoir dans l'orchestre pendant les premières représentations de l'opéra nouveau, porte atteinte à sa dignité si son ouvrage est défavorablement accueilli; car c'est à lui même que s'adressent les sifflets et les brocards.

  En France, quelle que soit la mauvaise fortune d'une œuvre dramatique, elle seule est compromise, et son auteur est toujours respecté. Bien que le succès y soit moins enivrant, au fond il satisfait davantage, parce qu'il est décerné d'une manière plus noble et plus intelligente. Il est donc permis d'affirmer que le temps où Rossini a joui de sa gloire la plus pure, la plus complète, est celui du long séjour qu'il a fait à Paris. Il avait fallu beaucoup le temps pour que sa renommée s'y établit, parce que les diverses administrations qui s'étaient succédé au théâtre-italien depuis 1813, époque du succès de Tancredi à Venise, semblaient avoir pris à tâche de laisser ses beaux ouvrages dans l'oubli, Médiocrement exécutés, ses opéras de l'inganno fortunato et de l'Italiana in Algeri étaient les seuls qu'on y eût entendus, et ils n'y avaient pas réussi. Ce fut Garcia qui, à la fin de 1819, fit enfin connaître Rossini pour ce qu'il était, en faisant mettre en scène le Barbier de Séville. Peu s'en fallut pourtant que le sort de ce charmant ouvrage ne fût au théâtre de la rue de Louvois ce qu'il avait été au théâtre Argentina de Rome; car il ne manquait pas à Paris d'admirateurs de Paisiello qui trouvaient fort irrévérent qu'un jeune musicien osât refaire l'ouvrage d'un tel maître. D'ailleurs, assez médiocrement chanté par Mme Ronzi-Debegnis, le rôle de Rosine n'avait pas répondu à la réputation de l’opéra: il eut donc, sinon one clute décidée, au moins ou succès incertain. Ce ne fut qu'après un infructueux essai de la reprise du Barbier de Paisiello, et lorsque Mme Mainvielle-Fodor se fut chargée du rôle principal de femme, que la musique du maître de Pesaro fut goûtée, et qu'on en comprit tout le charme. Alors, chaque représentation augmenta l'enthousiasme du public et sembla transformer les spectateurs, comme le maître avait transformé la musique. Le Turc en Italie, la Gazza ladra, Tancredi, Otello, Cenerentola, vinrent tour à tour augmenter l'admiration et la rendre générale. Des éditions multipliées des partitions et de morceaux détachés de ces opéras; des arrangements de ces morceaux pour tous les instruments, pour les corps de musique militaire et pour les orchestres de danse, completèrent la métamorphose du goût français.

  Au milieu de les circonstances, Rossini alla se fixer à Paris et recueillir les plus doux fruits de ses travaux. Accueilli, fêté, exalté, entouré d'égards et de distinctions, il dut grandir alors à ses propres yeux. Doué de l'esprit le plus fin, le plus brillant, et de plus imbu de la fausse opinion que rien ne saurait être sérieux chez les Français, il s'était persuadé malheureusement que le rôle par excellence y devait être celui de mystificateur, et ce fut celui qu'il adopta. Nul ne pouvait le remplir avec plus d'avantages; mais il ne convenait à personne moins qu'à l'auteur de Sémiramis et d'Otello. D'ailleurs, il s'était trompé. Sous une apparence de frivolité, les Français sont peut-être le peuple le plus sérieux du continent, et certainement c'est celui qui a le sentiment le plus délicat des convenances et de la dignité sociale. Plus tard, Rossini s'est convaincu de son erreur par l'expérience, et, modifié par l'âge, il a pris dans la société française la position qui convient à la grandeur de son talent. Les engagements de Rossini envers le ministère de la maison du roi lui imposaient l'obligation d'écrire pour l'opéra italien et pour l'opéra français, mais la faveur dont il jouissait près de M. le vicomte de La Rochefoucault, chargé de l'administration des beaux-arts, fit faire beaucoup de concessions à sa paresse.

(à suivre)



Nowakowski (Józef)